Comment un médicament pourrait modifier l’accès à l’avortement au Canada

Chaque jour, notre Ligne d’accès reçoit des appels de personnes qui souhaitent mettre fin à une grossesse, au Canada. Elles ont de nombreuses questions; plusieurs désirent savoir où se procurer la pilule abortive ou, autrement dit, à quel endroit elles peuvent obtenir un avortement médical.

Il va sans dire que cette soif d’information découle en partie des réalités frappantes et étonnantes de la faible accessibilité de l’avortement, dans notre pays.

Seulement 1 hôpital sur 6 fournit des services d’avortement, au Canada, et la majorité d’entre eux, tout comme les cliniques autonomes de santé sexuelle, sont dispersées inégalement à travers le pays et établis surtout en région urbaine. Même la ministre de la Santé a reconnu que « les services d’avortement demeurent clairsemés, dans certaines régions du pays, et qu’en particulier les femmes vivant en milieu rural rencontrent des obstacles à l’accès » [traduction]. Cette disponibilité limitée est aggravée par d’autres obstacles, comme les délais d’attente, le critère de l’âge, les ressources financières, le statut d’immigration ainsi que le refus de certains médecins de donner des références en raison de motifs moraux et religieux.

Au Canada et dans le monde, des personnes choisissent de mettre fin à une grossesse pour diverses raisons. Ce qui est important est qu’elles aient à leur disposition des options pour concrétiser leur décision en toute sécurité. Bien que des obstacles persistent, les options au Canada s’élargissent enfin.

Après un examen réglementaire de près de trois ans, l’étalon-or de l’avortement médical a enfin été approuvé. Déjà disponible dans 60 pays, la mifépristone a été approuvée en juillet 2015 pour utilisation au Canada, et sera disponible à compter du printemps 2016. Le médicament sera adjoint de misoprostol et vendu sous le nom de Mifegymiso.

Bien que l’avortement médical soit disponible depuis un certain temps au Canada, la méthode utilisée jusqu’ici implique une utilisation non inscrite sur l’étiquette d’un médicament contre le cancer et l’arthrite, appelé méthotrexate, adjoint de misoprostol. Le faible niveau de connaissance de l’avortement médical, parmi les fournisseurs de soins de santé au Canada, et l’utilisation non inscrite sur l’étiquette, pour le régime précédent, entraînaient également que peu de médecins étaient formés pour l’offrir, ou mal à l’aise de le faire, et qu’en conséquence la disponibilité et la demande étaient faibles.

Vu cette réalité, le potentiel qu’offre l’avortement médical est encore inexploité, au Canada. L’avortement médical est un important moyen d’élargir la gamme de choix pour mettre fin à une grossesse. Il peut être offert plus tôt qu’un avortement chirurgical; il pourrait réduire les délais d’attente pour l’avortement chirurgical et l’attente en général; accroître l’accès à l’avortement en région rurale et éloignée; et être offert aux personnes qui souhaitent vivement éviter une intervention chirurgicale pour diverses raisons. Des études ont d’ailleurs démontré que les personnes qui préfèrent une méthode à une autre et qui l’obtiennent sont les plus satisfaites de leur expérience des soins de santé en général, ce qui peut avoir une incidence énorme sur leur santé et leur bien-être généraux.

Ceci met en relief l’importance de la décision de Santé Canada d’approuver la mifépristone. Dans les pays où ce médicament est déjà disponible, comme la France, le recours aux services d’avortement médical est beaucoup plus élevé qu’au Canada. En France, 60 % des personnes qui recourent à l’avortement choisissent l’avortement médical alors qu’au Canada, où l’accès à l’avortement médical est limité et offert seulement dans quelques hôpitaux et cliniques, le taux n’est que d’environ 4 % du nombre total d’avortements.

À présent que la mifépristone, qui figure dans la Liste modèle de médicaments essentiels de l’OMS, sera disponible au Canada, nous nous attendons à ce que la situation évolue.

La mifépristone a le potentiel de devenir une solution aux nombreux obstacles à l’avortement qui existent au Canada, et pourrait concourir également à la priorité du nouveau gouvernement fédéral de « de rendre l’accès plus équitable pour toutes les femmes canadiennes ». Malheureusement, la décision réglementaire de Santé Canada, qui officialise l’approbation du Mifegymiso et qui décrit sa mise en œuvre au pays, donne à penser que peu de choses changeront, dans l’accès à l’avortement médical au Canada.

Voici pourquoi : seuls les médecins seront autorisés à prescrire ce médicament. De plus, Santé Canada a établi de lourdes exigences de formation des médecins et des pharmaciens, pour prescrire et fournir le médicament, plutôt que rendre disponible l’information appropriée et de permettre le simple recours au jugement professionnel. Ses exigences pourraient entraîner un faible taux d’adoption du médicament chez un grand nombre de médecins et pharmaciens.

Restreindre aux médecins l’autorité de prescrire le Mifegymiso limitera en particulier l’accès à ce service dans les communautés où il est le plus nécessaire – les régions rurales et éloignées où il manque de médecins et où les services d’avortement sont très épars. Quelle est donc la solution? Le Gouvernement doit demander à Santé Canada de se pencher sur des moyens d’effectuer un transfert approprié de tâche quant à la provision de l’avortement médical afin de permettre de former d’autres professionnels de la santé qualifiés (comme les infirmières praticiennes et les sages-femmes) à la fourniture de ces services.

Mais d’autres préoccupations prévalent. D’une part, le registre privé, qui empêchera que les personnes qui désirent ce service et celles qui désirent y référer des clients de savoir quels médecins dans leur région détiennent la formation pour l’offrir et quels pharmaciens sont formés pour le fournir. Quelle est la solution à ce problème? Celle-ci est facile : rendre publique une version du registre énumérant les fournisseurs qui ont consenti à être identifiés ainsi.

En outre, on s’attend à ce que le prix du Mifegymiso soit aussi élevé que 270,00 $ par paquet. Son coût est considérablement plus élevé que celui du régime précédent, ce qui est matière à inquiétude pour l’accessibilité s’il n’est pas couvert par les régimes d’assurance. Bien que les frais des médecins seront probablement couverts partout au Canada, la ministre de la Santé pourrait travailler avec les provinces et territoires afin que le coût du médicament soit également couvert et afin de faire avancer le projet d’un régime national d’assurance-médicaments qui garantisse l’accès à une gamme complète de médicaments, d’instruments médicaux et de mesures de soutien appropriées.

Il ne s’agit pas de préoccupations complexes mais elles requièrent une volonté politique aux échelons provincial/territorial et fédéral si nous sommes déterminés à égaliser l’accès et à fournir des services sécuritaires d’avortement à toutes les personnes, d’un bout à l’autre du pays.

Pour plus d’information sur la mifépristone et son utilisation au Canada, consultez la page : www.actioncanadashr.org/mifegymiso   

Posté sur 2016-01-11