Est-ce que c’est vraiment à ça que ça ressemble un gouvernement féministe?

Pour la Journée internationale de la femme, examinons de près la mesure dans laquelle le Canada respecte ses principes féministes au niveau des politiques et en pratique.  

 

L’adoption du terme « féministe », par le gouvernement Trudeau, pour décrire entre autres son budget et son approche à l’aide internationale nécessite que nous examinions dans quelle mesure le Canada est à la hauteur des principes du féminisme – dans ses politiques et dans ses pratiques.

Un engagement à la santé sexuelle et génésique ainsi qu’aux droits qui s’y rattachent, dans le climat politique mondial d’aujourd’hui, est un exemple d’importance particulière pour illustrer comment le Canada « fait ce qu’il dit » et tient ses promesses, ou pas.

La Règle du bâillon mondial anti-avortement qu’ont réinstaurée les États-Unis, l’an dernier, a créé un trou béant de 8 milliards de dollars dans les fonds internationaux. Cette règle empêche des ONG des quatre coins du monde de recevoir des fonds de l’aide internationale états-unienne s’ils fournissent des services, de l’information, du counselling ou des références concernant l’avortement (et dans certains cas des contraceptifs) ou font du plaidoyer en la matière. En réponse à cette situation, le Canada s’est joint aux gouvernements de divers pays qui se sont portés à la défense de la santé et des droits sexuels et génésiques.

Jusqu’à récemment, toutefois, le Canada a fait partie du problème plutôt que de la solution, avec sa propre mouture de la Règle du bâillon mondial mise en œuvre en 2010 par le gouvernement Harper. Or il s’agit d’une approche dévastatrice non seulement parce qu’elle coupe des fonds dans des domaines vitaux, mais aussi parce qu’elle exacerbe des lacunes existantes.

Le mouvement mondial a heureusement commencé à combler ces manques; et le Canada prend une place importante à cette table. Notre gouvernement s’est porté fermement à la défense de la santé et des droits sexuels et génésiques, et a annoncé un engagement initial de 20 millions $ lors de la conférence mondiale She Decides afin de combler les nouvelles lacunes causées par la politique états-unienne, puis fait une annonce de 650 millions $ lors de la Journée internationale de la femme, pour des programmes connexes.

L’engagement politique du Canada à l’égard du féminisme arrive en pleine période de crise financière dans le mouvement mondial de la santé et des droits sexuels et génésiques. Bien qu’il existait des lacunes avant Trump, les États-Unis ont déjà été le principal bailleur de fonds bilatéral en matière de planification des naissances et de santé génésique – et le rétablissement de la politique restrictive a déjà provoqué la fermeture de cliniques dans des pays à revenu faible, ce qui a été particulièrement difficile dans les régions d’Afrique où des cliniques gérées par des ONG sont les principaux acteurs en prévention et traitement du VIH et du sida, en soins de santé pour les mères ainsi qu’en counselling en matière de violence sexuelle.

Cet engagement attendu depuis longtemps ne concerne pas que l’argent. Il vise à répondre au refus du gouvernement précédent de faire en sorte que les femmes et les filles puissent prendre en main leur propre santé sexuelle et génésique, et aient les outils pour prendre des décisions en la matière. Autrement dit, il s’agit d’une action concrète pour aligner l’assistance internationale selon les principes féministes.

Nous savons, vu notre travail au sein du mouvement féministe mondial, que les domaines les plus négligés sont ceux où des idéologies qui ne sont pas fondées sur des données ont alimenté des programmes et politiques rétrogrades, notamment en ce qui concerne l’avortement, le plaidoyer féministe et l’éducation sexuelle complète (une éducation sexuelle reconnaissant les réalités et les droits humains des jeunes).

L’engagement est féministe en ceci qu’il place les femmes, les filles et toute personne ainsi que leurs droits au centre du développement. Il reconnaît que le fait de limiter l’accès à un éventail complet de services de santé sexuelle et génésique est une violation de droits humains. Il reconnaît la nécessité d’appuyer le plaidoyer juridique et en matière de politiques visant l’avancement de ces droits. Il offre une approche intersectionnelle à la santé sexuelle et génésique, qui aborde l’égalité des genres et les contextes dans lesquels nous vivons – nos déterminants de la santé.

Ce changement d’approche est marquant. Mais est-il suffisant pour changer quoi que ce soit dans les domaines les plus négligés et les moins financés?

Le budget de 2018 a beau présenter une légère augmentation de l’aide au développement, ceci n’est pas à la hauteur des effets de l’inflation. Les dépenses générales du Canada dans le domaine ont constamment diminué, avec les années, et aucun nouveau financement pour la santé et les droits sexuels et génésiques n’a été inclus. En l’absence d’un engagement ferme et à long terme à accroître l’aide au développement, l’investissement du Canada en matière de santé et droits sexuels et génésiques au-delà de 2020 (année où les 650 millions $ se terminent) serait sérieusement menacé.

Une approche féministe en matière d’aide internationale nécessite plus que simplement de l’argent « pour combler les vides » que le Canada a contribué à créer. Mais une approche féministe à l’aide internationale qui n’est pas appuyée par des investissements sérieux, en particulier dans le domaine de la santé sexuelle et génésique et des droits qui s’y rattachent, n’est pas une approche féministe.

Une approche féministe nécessite un engagement soutenu au-delà de la prochaine élection afin de concrétiser des changements substantifs dans les domaines les plus négligés. Cela nécessite que le Canada persiste à soutenir haut et fort la santé et les droits sexuels et génésiques dans les lieux où se prennent des décisions internationales, y compris le G7. Cela nécessite également la mise en place d’une approche institutionnalisée à la santé et aux droits sexuels et génésiques au sein de l’agence fédérale chargée du développement (Affaires mondiales Canada), par une politique canadienne de santé et de droits sexuels et génésiques qui ne pourra être balayée du revers de la main en cas de changement de gouvernement. Cela nécessite de moderniser les mécanismes de financement gouvernemental de manière à ce que les organismes féministes de la base qui travaillent à réaliser des progrès juridiques et de politiques puissent recevoir du soutien financier. Voilà comment un gouvernement féministe agit.

Posté sur 2018-03-07