Pourquoi nous n’avons pas besoin d’une nouvelle loi sur l’avortement au Canada

Écrit en partenariat avec L'Association nationale Femmes et Droit

La décision de la Cour suprême des États-Unis qui a eu pour effet d’annuler le jugement Roe v. Wade peut conduire des Canadien-nes à se demander comment nous pourrions mieux protéger le droit à l’avortement dans notre pays. L’introduction d’une loi peut sembler une avenue intéressante – mais en réalité, cela pourrait favoriser l’avènement au Canada d’une situation semblable à celle des États-Unis.

Pourquoi nous n’avons pas besoin d’une loi 

L’avortement est un soin de santé 

Au Canada, l’avortement est déjà décriminalisé : aucune loi pénale ne dicte de quelle façon et dans quelles circonstances il peut être offert. En fait, dans de multiples arrêts, la Cour suprême du Canada a constamment statué que de telles restrictions liées à l’avortement violent la Charte canadienne des droits et libertés. L’avortement est plutôt considéré comme une intervention médicale et est réglementé comme tel.  

Vous aimeriez en savoir plus? La Loi canadienne sur la santé est la loi fédérale qui régit le fonctionnement des soins de santé au Canada. Bien que les provinces et les territoires supervisent la gestion de leur propre système de soins de santé, ils doivent respecter les exigences de la Loi pour recevoir des fonds fédéraux. Ces exigences comprennent cinq principes relatifs aux services de santé assurés : la gestion publique, l’intégralité, l’universalité, la transférabilité et l’accessibilité. L’avortement est un service assuré protégé par ces normes rigoureuses qui, lorsqu’elles sont appliquées, peuvent protéger l’accès à ce service.

Une loi sur l’avortement ouvrirait la porte à de nouvelles restrictions 

L’introduction d’une nouvelle loi pour protéger l’avortement politiserait cette intervention médicale comme aucune autre. Par exemple, il n’existe pas de loi qui affirme le droit à une chirurgie de remplacement de la hanche et qui précise quand et comment s’en prévaloir. On reçoit plutôt cette intervention au besoin, lorsqu’elle nous est proposée par un prestataire de soins de santé qui respecte la science et les règles de sa profession. 

Si le gouvernement tentait de créer un projet de loi pour garantir le droit à l’avortement, cela ouvrirait la porte à ce que les politicien-nes anti-choix essaient d’imposer des limites à l’avortement, pour diverses raisons qui n’ont rien à voir avec la science ou la nécessité médicale. De nombreux(-ses) politicien-nes tentent déjà de déposer des projets de loi d’initiative parlementaire qui limiteraient l’accès à l’avortement. Une nouvelle loi pourrait faciliter la proposition d’amendements ou de limites qui ne se sont jamais concrétisés jusqu’ici

Que peut-on faire pour garantir la sécurité du droit à l’avortement au Canada? 

La situation canadienne diffère de celle des États-Unis, mais nous devons demeurer vigilant-es. Il reste encore du travail à faire au Canada pour que tout le monde ait un accès égal aux soins d’avortement. Les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux peuvent prendre plusieurs mesures pour améliorer l’accès à l’avortement au Canada, sans pour autant adopter une nouvelle loi.

1. Renforcer l’application de la Loi canadienne sur la santé (LCS). 

Les normes de la Loi indiquent clairement que l’avortement doit être accessible à l’échelle du pays. La LCS établit des critères et des conditions pour les services de santé assurés (qui incluent l’avortement), que les provinces et les territoires doivent respecter afin de recevoir la totalité de la contribution financière fédérale au titre du Transfert canadien en matière de santé. 

Pourtant, une province a encore une réglementation illégale qui limite l’accès à l’avortement. Dans d’autres provinces, des patient-es doivent payer des frais administratifs (qui devraient être couverts par la Loi). Dans la plupart des cas, les soins d’avortement nécessitent d’importants déplacements (et des frais de transport connexes) pour accéder à un-e prestataire. 

En vertu de la LCS, le Gouvernement du Canada a l’obligation d’intervenir si des provinces ne remédient pas à des problèmes d’accès. Bien que le Gouvernement du Canada ait fait des efforts pour inciter les provinces à se conformer (notamment en retenant des fonds), les sanctions actuelles prévues dans la LCS ne sont pas assez efficaces pour empêcher un gouvernement provincial d’entraver l’accès à l’avortement. D’autres mesures s’imposent.

2. Les provinces et les territoires doivent respecter la Loi canadienne sur la santé et veiller à ce que les prestataires et les établissements de soins de santé disposent de l’infrastructure nécessaire pour fournir des soins d’avortement. 

Cela inclut des codes de facturation pour l’avortement médical, un accès rapide aux services d’échographie, une politique de prise en charge rapide des soins à l’étranger, etc. De plus, les gouvernements devraient collaborer étroitement avec les collèges professionnels provinciaux afin de s’assurer qu’ils disposent de politiques rigoureuses en matière d’objection de conscience et qu’ils soutiennent l’expansion du champ de pratique des sages-femmes et des infirmière(-ier)s praticien-nes pour inclure l’avortement médical, là où ce n’est pas encore le cas.

3. Créer le portail Web promis par Santé Canada pour fournir des informations exactes et non biaisées sur la santé et les droits sexuels et génésiques et répondre à la désinformation sur l’avortement. 

La désinformation sur l’avortement a un impact considérable sur la santé publique et alimente la stigmatisation de l’avortement. Une partie des fonds gouvernementaux pourrait également servir à des campagnes de marketing ciblées pour que les personnes souhaitant accéder à des informations et à un soutien concernant une grossesse non planifiée puissent être dirigées vers des ressources dignes de confiance.

4. Augmenter les transferts fédéraux en matière de santé en les liant à l’expansion des services de santé sexuelle et génésique à travers le pays. 

Compte tenu de la délimitation des responsabilités en matière de santé, par la Constitution, nous recommandons au gouvernement d’examiner comment il pourrait mieux utiliser son pouvoir de dépenser. Il peut le faire en assortissant de conditions spécifiques les transferts fédéraux en matière de santé afin de s’assurer que les provinces adoptent des mesures pour améliorer la disponibilité et l’accessibilité des services de santé sexuelle et génésique. Une attention particulière devrait être portée à l’avortement, notamment en réglementant l’objection de conscience conformément aux normes internationales.

5. Financer de façon permanente le nouveau Fonds pour la santé sexuelle et reproductive de Santé Canada. 

En 2021, le budget fédéral comprenait une annonce historique de 45 millions $ pour élargir l’accès aux services de santé sexuelle et génésique, en finançant les frais de transport liés aux soins d’avortement et en sensibilisant les prestataires de soins de santé aux obstacles systémiques dans l’accès aux soins. Ce financement amorcé en 2022 prendra fin en 2024, malgré les services cruciaux qui sont financés, comme le soutien aux personnes qui doivent voyager pour accéder à des services d’avortement. Ce fonds doit devenir permanent.

 

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Vous vous demandez comment aider? Des organismes comme Action Canada travaillent sans relâche pour garantir l’accès à l’avortement au Canada et dans le monde.
Posté sur 2022-06-24
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