Combattre la mésinformation et la désinformation sur la santé et les droits sexuels

Article initialement publié sur le site Media Co-op par Scott Neigh, hôte et producteur de Talking Radical Radio

Victoria Romero et Emily Tang sont étudiantes universitaires et membres du Conseil consultatif national des jeunes d’Action Canada pour la santé et les droits sexuels. Matthew Johnson est directeur de l’éducation chez HabiloMédias. Scott Neigh les interroge sur la mésinformation et de la désinformation en matière de santé et de droits sexuels, et sur la campagne de la Semaine de sensibilisation à la santé sexuelle et génésique (Semaine SSG) de cette année.

Action Canada se consacre à l’éducation du public, à la promotion de la santé, à la prestation de services et au plaidoyer sur les politiques en matière de santé et de droits sexuels et génésiques, au Canada et dans le monde. HabiloMédias fait la promotion de la littératie médiatique et numérique chez les jeunes en offrant un large éventail de ressources éducatives aux personnes enseignantes, aux parents, et dans une moindre mesure aux jeunes.

La Semaine SSG est une campagne d’Action Canada qui aborde chaque année un thème lié à la santé et aux droits sexuels. Elle propose des événements et des ressources thématiques au grand public, aux prestataires de soins de santé et à d’autres auditoires. Cette année, la Semaine SSG se tient du 13 au 17 février. Sous le thème « Connais les faits! », elle aborde entre autres le problème de la mésinformation et de la désinformation.

L’environnement informationnel d’aujourd’hui est pour le moins complexe. Les approches dominantes de connaissance du monde, qui exaltent les puissant·e·s et marginalisent les opprimé·e·s, n’ont rien de nouveau – et la désinformation malveillante non plus, d’ailleurs. Mais l’évolution des technologies a conduit à un système d’information plus chaotique, plus difficile à naviguer et manifestement plus propice à la manipulation que jamais auparavant. Les institutions traditionnelles qui produisent le savoir et le diffusent – comme les écoles, les journaux et les gouvernements – poursuivent leur rôle dans la reproduction du colonialisme de peuplement, de la suprématie blanche, du capitalisme, du patriarcat, de l’hétérosexisme, du capacitisme, du cissexisme et plus encore. Mais il semble aujourd’hui que les mouvements réactionnaires (du « GamerGate » de la dernière décennie jusqu’à la récente montée de l’extrême droite) aient plus d’espace pour exploiter le sensationnalisme, la distorsion et la tromperie afin de consolider leurs bases, ce qui aggrave ces phénomènes.

La prévalence de la mésinformation et de la désinformation sur la santé et les droits sexuels et génésiques n’est pas non plus nouvelle. Que nos connaissances viennent d’un programme scolaire formel, de chuchotements spéculatifs entre pair·e·s ou de conversations gênantes avec nos parents, il est très rare que l’apprentissage sur le corps, la sexualité, les relations et tout le méli-mélo social qui s’y rattache se fasse de façon précise, complète, juste et libératoire. Et le contenu offert est « très souvent centré sur les personnes cis, hétéros et blanches », comme le signale Mme Tang.

On pourrait dire que les choses ont évolué, d’une certaine façon – grâce à Internet, les jeunes personnes ont plus de possibilités de chercher elles-mêmes des informations de qualité, comparativement aux générations précédentes (qui ne pouvaient que demander à une figure d’autorité, croiser les doigts pour que leur école soit l’une des rares à offrir une éducation sexuelle décente, ou oser faire des recherches dans une bibliothèque publique). De nos jours, trouver des informations de qualité est plus facile, mais les bons contenus sont souvent noyés dans une mer d’informations erronées, nuisibles, voire malveillantes. Mme Romero affirme : « On trouve beaucoup d’excellentes informations factuelles [en ligne], mais aussi une tonne de mésinformation et de désinformation. Et il y a un manque flagrant de compréhension de la différence entre les deux. »

Certains obstacles persistent, comme l’accès inégal à Internet ou la peur de se faire prendre à chercher des sujets particuliers. HabiloMédias dirige le plus long projet de recherche au monde sur les jeunes et la littératie médiatique et numérique. Selon M. Johnson, seulement environ un·e jeune sur cinq au Canada cherche aujourd’hui des informations en ligne sur la santé sexuelle et les relations. Ce taux est environ le double chez les jeunes queers et trans – ce qui témoigne à son avis d’un manque encore plus grand d’informations de qualité adaptées à leurs besoins et provenant d’autres sources.

De plus, la grande circulation de mésinformation liée à la sexualité peut s’expliquer par des facteurs tels que la popularité d’influenceur·euse·s, dans les médias sociaux, qui ne savent tout simplement pas de quoi ils/elles parlent, et par l’omniprésence des pièges à clics [clickbait]. Les mèmes et les blagues qui ont un effet stigmatisant ou opprimant ou qui sont carrément faux voyagent vite et loin. Évidemment, il peut être très difficile de savoir où chercher des informations de qualité, ou de les reconnaître si on en trouve. Enfin, il y a la désinformation disséminée de manière intentionnelle, en particulier par des sources qui épaulent des programmes politiques de droite et d’extrême droite – de la démonisation des personnes LGBTQ jusqu’aux mensonges sur l’avortement, en passant par toutes sortes d’affirmations destinées à amplifier la stigmatisation et la honte liées à la sexualité.

M. Johnson reconnaît que des personnes et des organismes « promeuvent intentionnellement la désinformation sur des sujets de santé sexuelle – comme des enjeux touchant les personnes transgenres, l’orientation sexuelle ou l’avortement ». Il poursuit : « Certains groupes sont ciblés plus souvent. Et il y a des groupes plus démonisés, au sujet desquels on répand plus de désinformation, qui font l’objet de campagnes de désinformation organisées et qui sont souvent exploités dans une rhétorique qui vise des objectifs politiques plus larges. »

Selon M. Johnson, les recherches d’HabiloMédias indiquent que dans l’ensemble, les jeunes personnes utilisent « des stratégies plus variées et plus efficaces » qu’il y a quelques années à peine, pour vérifier les informations qu’elles trouvent, et qu’elles sont plus susceptibles de vérifier des sources ailleurs qu’à l’école. Néanmoins, il est fréquent que ces stratégies ne soient pas adaptées à l’environnement informationnel actuel, truffé de tromperies délibérées.

Certaines stratégies plus anciennes, qui sont encore souvent enseignées à l’école, incluent d’examiner la description d’un organisme sur son site Web – « ce qui était logique dans un environnement informationnel où l’on pouvait supposer que les gens ne mentaient pas sur leur identité ou sur n’importe quel sujet ». Aujourd’hui, HabiloMédias se concentre sur l’enseignement de ce que Johnson appelle « la lecture latérale; on ne croit pas la source sur parole et on ne l’examine pas trop de près avant de vérifier qu’elle est fiable ». Le fait d’enquêter sur des sources de désinformation peut aider à comprendre les grandes tendances quant aux personnes ciblées et aux motifs du ciblage, de même que les motivations politiques derrière ces campagnes. M. Johnson résume en riant : « La demande de mésinformation et de désinformation est égale de toutes parts, mais l’offre est loin de l’être. »

Un autre défi concerne la relation qu’entretiennent les jeunes avec les sources rencontrées en ligne. Johnson explique : « En fait, la recherche montre que le problème chez la plupart des jeunes n’est pas qu’ils/elles ne sont pas assez sceptiques, mais plutôt qu’ils/elles ont un scepticisme égal face à toutes les sources – ce qu’on appelle parfois la compression de la confiance. Puisqu’ils/elles ne savent pas comment vérifier la fiabilité d’une source, et qu’on leur a dit maintes fois de ne pas faire confiance à tout ce qu’ils/elles voient en ligne, sans toutefois leur expliquer comment trouver des informations dignes de confiance, ils/elles appliquent un scepticisme égal à toutes les sources. » Cela peut inciter les jeunes à choisir leurs sources en fonction d’autres critères, comme leurs sentiments ou la force de leur relation parasociale avec le/la créateur·trice du contenu.

Johnson poursuit : « C’est pourquoi la plupart de nos documents, y compris ceux qui portent sur la vérification d’informations en matière de santé sexuelle, ne se contentent pas de montrer comment rejeter les fausses informations ou reconnaître les sources qui ne sont pas fiables; ils expliquent également comment vérifier si une information est fiable et comment trouver des sources dignes de confiance. »

C’est là que la Semaine SSG de cette année entre en jeu. Elle propose des ressources de santé sexuelle et génésique qui contiennent des informations inclusives et fondées sur des données probantes, et elle fournit aux gens un soutien pour les aider à développer leur littératie médiatique et à s’orienter dans l’environnement informationnel touchant ces sujets. HabiloMédias offre également un éventail de ressources et de programmes sur la littératie médiatique en général et sur des enjeux de santé sexuelle spécifiques.

Mme Romero souligne l’importance qu’un organisme de la société civile comme Action Canada organise ce genre de campagne, plutôt que des institutions traditionnelles comme les écoles, les gouvernements ou les médias de masse, vu « la perception qu’ont les populations plus jeunes de l’information provenant d’instances officielles comme le gouvernement ou les services de santé provinciaux ». Elle poursuit : « Je constate que plusieurs jeunes ont une certaine appréhension face à nos structures et systèmes traditionnels, dans la société ... qui sont enracinés dans la violence coloniale; et qu’ils/elles perçoivent un certain parti pris dans beaucoup d’informations qui nous viennent des autorités depuis très longtemps. »

Mme Tang ajoute : « Les médias de masse et les systèmes scolaires sont souvent financés par le gouvernement. Il y a donc une possibilité de biais. Dépendant du système scolaire que vous avez fréquenté, on vous a peut-être enseigné des informations trompeuses. » Cela met en relief la nécessité d’initiatives qui communiquent de manière « inclusive » et « accessible » des informations sur la santé et les droits sexuels.

Bien sûr, il est utile de consommer des informations de meilleure qualité et de devenir un·e meilleur·e consommateur·trice d’informations, mais aussi d’intervenir soi-même dans le paysage informatif. Par exemple, Tang souligne l’importance de s’assurer que des personnes ayant diverses expériences d’oppression occupent des positions de « pouvoir et d’autorité » au sein des institutions de notre système d’information. Romero plaide pour sa part pour « l’implication des communautés, du groupe démographique ou des populations que vise l’information ou la source ».

Mme Romero ajoute : « Si on sait qu’un organisme diffuse ce qui n’est peut-être pas de la désinformation, mais possiblement de la mésinformation sur l’avortement ou sur la contraception d’urgence, alors on devrait peut-être se demander pour quelles raisons il le fait ou comment il s’y prend. Quelles sont ses motivations? »

« Pourquoi laissons-nous ces organismes disséminer de telles informations? », poursuit-elle. « Par exemple, ont-ils une intention nuisible? Cherchent-ils à humilier des gens? À les orienter vers une certaine norme morale? Bref, il faut examiner les raisons et pousser les instances à expliquer pourquoi elles continuent d’agir ainsi. »

Selon M. Johnson, « cela nécessite notamment de renseigner les jeunes sur leur pouvoir en tant que citoyen·ne·s et consommateur·trice·s, et de leur expliquer qu’un des avantages d’être en ligne est qu’on a tou·te·s une voix, que l’on peut utiliser pour changer les choses dans nos espaces virtuels. Par cette voix, on peut changer les valeurs en ligne ou inverser le ratio bonnes/mauvaises informations. Agir sur notre écosystème d’information ne se limite pas au seul choix de ne pas partager de mauvaises informations; on peut l’améliorer activement en disséminant des informations de qualité. »

De plus, « on peut utiliser des outils numériques pour participer en tant que citoyen·ne·s, pour changer la façon de faire des gouvernements, pour modifier des programmes scolaires ». Il cite en exemple des élèves du secondaire, en Ontario, qui ont réussi à s’organiser il y a quelques années pour obtenir l’ajout de l’éducation au consentement dans leur programme d’éducation de santé. « Un aspect vraiment important de la littératie médiatique et numérique consiste à montrer aux jeunes et à tout le monde qu’on a le pouvoir d’utiliser des outils numériques pour faire une différence. »

Pour Mme Tang, la question se résume à ceci : « Comment pouvons-nous rendre l’information [sur la santé sexuelle] plus inclusive pour tou·te·s – [plus] inclusive à l’égard des personnes trans... plus pro-choix... plus sensible à la culture? »

Écoute la balado!

Scott Neigh, de Talking Radical Radio, interviewe Matthew Johnson d’HabiloMédias sur les liens entre la littératie médiatique et la santé sexuelle, et s’entretient avec Emily et Victoria, du Conseil consultatif national des jeunes d’Action Canada, au sujet de leurs expériences de recherche d’informations dignes de confiance sur la santé sexuelle, et sur les obstacles qui persistent pour les jeunes aujourd’hui. La baladodiffusion est en anglais.

 
 

À propos de Talking Radical

Talking Radical est un projet à multiples facettes, ancré dans les voix de la base à travers le pays et destiné aux personnes qui reconnaissent l’importance des mouvements. Il s’agit pour l’instant de deux recueils d’histoire venant de la base, fondés sur des entrevues d’histoire orale avec des activistes et des organisateur·trice·s de longue date d’un large éventail de mouvements sociaux et de communautés en lutte, dans le contexte canadien; et d’une émission de radio hebdomadaire qui présente des entrevues approfondies avec des personnes engagées dans divers types d’efforts de changement social dans le Canada d’aujourd’hui. talkingradical.ca

Lire l’article original (en anglais) sur le site Media Co-op.

Mis à jour le 2024-04-02
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