Les femmes et la réponse d’urgence laissée pour compte

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Sandeep Prasad est directeur général d’Action Canada pour la santé et les droits sexuels; Gillian Barth et présidente-directrice générale de CARE Canada

Fatima est enceinte de neuf mois. C’est sa première grossesse depuis la fausse-couche qu’elle a eue alors qu’elle fuyait le Boko Haram, en pleine nuit, il y a plus d’un an, dans le nord du Nigéria. Elle est maintenant en sécurité et a entendu récemment parler d’une clinique de santé maternelle près d’où elle vit. Pour la première fois, elle reçoit des soins prénatals, y compris des examens périodiques, des médicaments gratuits et une « trousse dignité » comprenant des serviettes hygiéniques, un seau et du savon, du détergent à lessive, un lange et d’autres articles d’hygiène. Même des choses aussi élémentaires n’étaient pas à la portée de la plupart des femmes, en crise humanitaire.

Pendant les conflits et les catastrophes naturelles, les femmes deviennent encore enceintes, poursuivent leurs grossesses, veulent obtenir des contraceptifs et des soins d’avortement, et donnent naissance à des bébés. Nous ne pouvons ignorer le fait que des personnes, dans ces contextes, se voient régulièrement refuser leurs droits sexuels et génésiques ainsi que des services de santé connexes dont elles ont besoin. Près des trois quarts des réfugiées syriennes enceintes qui ont répondu à une enquête, en 2015, au Liban, ont dit vouloir prévenir les grossesses futures; près de la moitié des répondantes ne désiraient pas leur grossesse actuelle.

En contexte de crise humanitaire, les femmes rencontrent également des menaces particulières à leur sécurité, incluant des taux accrus de violence domestique ainsi que de viol comme arme de guerre. Le risque de décès maternel (une des principales causes de décès de femmes en âge de procréer) est également accru lors de conflits et de catastrophes naturelles.

En période de crise, assurer l’accès à des services de santé sexuelle et génésique, tout comme à des éléments comme l’eau potable, un abri ou de la nourriture, contribue à sauver des vies. Ceci inclut de fournir des services vitaux pour soutenir les personnes affectées par la violence, de même que des soins anténataux et d’obstétriques pour les femmes enceintes, et l’accès à des contraceptifs, à l’avortement sécuritaire et à des soins post-avortement.

Tandis que globalement nous atténuons peu à peu le tabou qui touche la santé et les droits sexuels et génésiques, les progrès sont constamment menacés. En faisant de la politique avec les corps des femmes et avec la santé sexuelle et génésique, on bafoue les droits fondamentaux des femmes et filles, et l’on fait fi de décès qui, alors qu’ils auraient pu être évités, ont résulté de complications d’un accouchement ou d’un avortement non sécuritaire.

L’an dernier, le président étatsunien Donald Trump a réinstauré une version élargie de la Politique de Mexico, plus souvent appelée Règle du baîllon mondial. Cette politique interdit aux organismes qui reçoivent de l’aide du Gouvernement des États-Unis de promouvoir ou de faire valoir l’avortement sécuritaire, même avec des fonds issus d’autres sources.

Des recherches de l’organisme gouvernemental étatsunien PAI ont permis de constater qu’au Nigéria, le pays qui reçoit la plus grande somme d’assistance étatsunienne, la Règle du baîllon mondial de Trump et son influence politique vont surcharger le secteur public de la santé, déjà sous-financé, et nuire à la santé génésique et aux objectifs de santé en général. Combinée aux coupes financières, la politique entrave également le travail de l’UNFPA, l’agence onusienne responsable de la santé sexuelle et génésique, qui a fourni des trousses d’urgence pour la santé génésique contenant des fournitures élémentaires comme des contraceptifs, à quelque 12 millions de personnes dans 47 pays, pendant la seule année 2016.

Ces conditions créent un trou béant que d’autres doivent combler. En mars 2017, des pays des quatre coins du monde se sont réunis pour mobiliser des fonds pour la santé et les droits sexuels et génésiques. Le Canada a fait un pas décisif avec un engagement initial de 20 millions de dollars, suivi d’une promesse de 650 millions et d’une nouvelle politique féministe pour l’aide internationale, bien qu’on ne sache pas clairement quelle proportion de cette somme ira à l’aide humanitaire. Une aide plus ciblée est nécessaire, en particulier pour les femmes et les filles en situation de crise.

La présidence canadienne du G7 doit maintenir le cap sur la santé et les droits sexuels et génésiques, et montrer la voie à suivre en annonçant un bassin de fonds réservés pour des initiatives d’aide humanitaire touchant la santé et les droits sexuels et génésiques.

Le premier ministre Justin Trudeau a clairement signalé sa détermination à promouvoir l’égalité des genres et les droits des femmes lors du sommet du G7, mais une conversation de qualité entre les leaders ne peut pas faire fi des besoins des femmes les plus marginalisées qui sont en situation d’urgence, dans divers régions du monde.

Si le gouvernement canadien veut réellement présenter une perspective d’égalité des genres, monsieur Trudeau et les autres leaders ne peuvent pas se permettre d’avoir peur des conversations difficiles au sujet des droits des femmes et des filles, notamment en situation de crise.

À l’approche du sommet, les yeux seront tournés vers le Canada : celui-ci devrait s’engager à une politique sur les droits sexuels et génésiques qui inclut des fonds réservés, et il devrait encourager les leaders du G7 et les principaux bailleurs de fonds à travailler en ce sens également. Un but essentiel, ici, est d’assurer un accès suffisant à des fonds pour des soins complets en matière de santé sexuelle et génésique dans le contexte de l’aide humanitaire – de sorte que les femmes et les filles reçoivent le soutien dont elles ont besoin en temps de crise.

Posté sur 2018-04-18