Le plaidoyer, c'est être solidaire

Branche-toi—les vrai-es féministes appuient le mouvement des travailleuse(-eur)s du sexe!

Par Elene Lam, directrice générale de Butterfly : Asian and Migrant Sex Workers Support Network

Artwork by Jenny Chan
Illustration par Jenny Chan / @whuulf

Butterfly est un organisme créé par et pour les travailleuse(-eur)s du sexe asiatiques et migrant-es. Nous considérons que le travail du sexe est un travail et nous défendons les droits des travailleuse(-eur)s du sexe. Nous nous concentrons spécifiquement sur les travailleuse(-eur)s du sexe asiatiques et migrant-es qui, en raison de leur identité intersectionnelle et de leur statut de migrant-es ou d’immigrant-es, sont souvent exclu-es des protections accordées aux autres travailleur(-euse)s. Notre objectif principal est de plaider pour un changement de politiques et pour la décriminalisation complète du travail du sexe, ainsi que pour des changements dans les politiques d’immigration.

Nous sommes un organisme de la base, axé sur le développement du leadership et sur la prestation de soutien direct et de services de proximité. Cela inclut une ligne d’assistance téléphonique, des services de santé, des services juridiques, du soutien en cas de crise et ainsi que des liaisons avec des allié-es prestataires de services sociaux. Nous construisons des alliances pour défendre la justice et les droits des travailleuse(-eur)s du sexe migrant-es. Notre travail consiste à créer une communauté avec laquelle nous pouvons partager, aimer, entretenir une entraide mutuelle, et rire ou verser des larmes. Notre communauté est ce qui nous donne la force de nous soutenir entre nous, de résister à l’oppression, de grandir ensemble et de réaliser nos rêves.

Nous reconnaissons la diversité des travailleuse(-eur)s du sexe, et devons veiller à ce que toutes leurs voix soient incluses dans le mouvement des travailleuse(-eur)s du sexe afin que celui-ci ne soit pas centré uniquement sur les plus privilégié-es.

Nous nous efforçons de relier les travailleur(-euse)s du sexe aux activités plus larges de plaidoyer et de politiques, en faisant en sorte qu’ils/elles connaissent leurs droits, en les aidant à se sentir puissant-es et en suscitant des changements institutionnels et systémiques. Ces personnes sont les plus informées de tout ce qui concerne leurs expériences et conditions de travail – et nous devons écouter ce qu’elles en disent.

Nous essayons de faire comprendre aux gens que les travailleuse(-eur)s du sexe asiatiques et migrant-es ne sont pas des victimes de la traite de personnes. Malheureusement, le mouvement anti-traite confond travail du sexe et traite de personnes, et continue d’abolir des lieux de travail des travailleuse(-eur)s du sexe asiatiques et migrant-es, ce qui entraîne un profilage racial, des contraventions coûteuses et, dans de nombreux cas, des menaces d’expulsion pour les travailleur(-euse)s, ce qui nuit activement à notre communauté sous prétexte de « protéger des victimes ».

Nous reconnaissons la diversité des travailleuse(-eur)s du sexe, et devons veiller à ce que toutes leurs voix soient incluses dans le mouvement des travailleuse(-eur)s du sexe afin que celui-ci ne soit pas centré uniquement sur les plus privilégié-es. Cela signifie inclure les voix des travailleuse(-eur)s du sexe noir-es et des autres qui sont racisé-es (et criminalisé-es de manière disproportionnée), de même que des travailleuse(-eur)s du sexe trans, migrant-es et autochtones.

Une partie de ce travail consiste à relier les travailleuse(-eur)s du sexe de toutes les identités à des mouvements féministes plus larges. Trop souvent, les féministes anti-travail du sexe (ou féministes carcérales) sont celles-là mêmes qui perpétuent les stéréotypes et la désinformation au sujet des travailleuses du sexe migrantes et asiatiques en les présentant fréquemment comme des victimes, dans des tentatives malavisées de « sauvetage » ou de « secours » de ces femmes.

Une approche féministe véritablement intersectionnelle devrait s’opposer à ce discours qui campe les travailleuse(-eur)s du sexe dans le rôle de victimes. Ce discours de victimisation se concentre souvent sur un objectif de « sauver » les travailleuse(-eur)s du sexe, qui fait fi de leur autonomie en faisant appel aux instances d’application de la loi, à davantage de maintien de l’ordre et à la surveillance de la part de prestataires de services sociaux (par exemple, des intervenant-es en travail social pour assister aux descentes policières dans les salons). Cela accroît grandement la précarité des personnes que les tenant-es de cette approche prétendent vouloir protéger.

Comme féministes, si nous nous soucions vraiment de la vie et de la sécurité des travailleuse(-eur)s du sexe, nous devons cesser ce discours victimaire et aller au-delà de cette approche carcérale. Nous devons écouter les travailleuse(-eur)s du sexe et adopter une approche fondée sur les droits. Malheureusement, le discours victimaire adopté par de nombreuses féministes est le même que celui qu’utilisent les organismes de lutte contre la traite de personnes, qui encouragent la phobie des femmes et le racisme en appelant à davantage de criminalisation, de maintien de l’ordre et de réglementations punitives. Cette approche malavisée et néfaste ne fait souvent qu’accroître la présence policière, provoquer davantage de violations des droits du travail et mettre les travailleuse(-eur)s du sexe en danger.

Car si nous voulons voir réduire le financement de la police mais que nous appuyons des approches anti-traite de personnes, qui favorisent une criminalisation accrue, il en résultera inévitablement une présence policière accrue et, par extension, un financement accru de la police. Si nous sommes préoccupé-es par les restrictions de l’agentivité corporelle, nous ne devrions pas nier l’agentivité en contrôlant le corps des travailleuse(-eur)s du sexe de la même façon que les lois cherchent à contrôler le corps des femmes et des personnes 2SLGBTQ+. L’ennemi fondamental est le même pour nous tous et toutes : le pouvoir de l’État sur nos vies et nos corps.

En effet, selon le Global Network of Sex Work Projects, « la criminalisation, y compris celle des client-es et des tiers, accroît la répression policière à l’encontre des travailleuse(-eur)s du sexe et permet la discrimination à leur égard dans l’accès aux services, en plus d’alimenter toutes sortes de stigmatisation. Il en résulte de graves préjudices pour les travailleuse(-eur)s du sexe, notamment des expériences de violence et des obstacles à l’accès à la justice. »

Lorsque nous demandons la décriminalisation du travail du sexe, nous entendons la décriminalisation complète, y compris la décriminalisation des client-es et des tiers. Cela s’applique non seulement aux dispositions du Code criminel qui concernent directement le travail du sexe, mais aussi aux lois sur l’immigration et à des lois municipales. Souvent, les lois tentent de criminaliser les client-es des travailleuse(-eur)s du sexe, ou les tiers, dans la perspective du modèle axé sur l’abolition de la demande; or les client-es et les tiers sont d’une importance vitale pour ces travailleur(-euse)s lorsqu’il s’agit d’évaluer leur sécurité dans une situation donnée. En outre, des travailleuse(-eur)s du sexe continuent d’être arrêté-es et de subir des préjudices en vertu de lois pénales fondées sur le modèle d’abolition de la demande.

Les féministes devraient comprendre également que les questions relatives au travail du sexe sont intrinsèquement liées au travail pour les droits des migrant-es (y compris la campagne Status for All [Le statut pour tou-te-s]) et pour les droits en matière de travail, de même qu’au travail visant à définancer la police. Car si nous voulons voir réduire le financement de la police mais que nous appuyons des approches anti-traite de personnes, qui favorisent une criminalisation accrue, il en résultera inévitablement une présence policière accrue et, par extension, un financement accru de la police. Si nous sommes préoccupé-es par les restrictions de l’agentivité corporelle, nous ne devrions pas nier l’agentivité en contrôlant le corps des travailleuse(-eur)s du sexe de la même façon que les lois cherchent à contrôler le corps des femmes et des personnes 2SLGBTQ+. L’ennemi fondamental est le même pour nous tous et toutes : le pouvoir de l’État sur nos vies et nos corps.

L’impact de notre travail est palpable. Il y a plusieurs années, les organismes de défense des droits des travailleur(-euse)s ne considéraient pas nécessairement Butterfly comme un partenaire, mais aujourd’hui nous collaborons étroitement avec les mouvements de défense des droits des travailleur(-euse)s et des migrant-es. Nous travaillons ensemble pour contester le fait que les travailleuse(-eur)s du sexe migrant-es servent de boucs émissaires – et pour créer une base qui permette aux travailleuse(-eur)s du sexe d’améliorer leurs conditions de travail et d’exercer pleinement leurs droits humains. Nous appelons les féministes à appuyer notre travail de développement d’alliances avec d’autres mouvements, et à veiller à ce que les travailleuse(-eur)s du sexe soient au centre de leurs propres mouvements afin de pouvoir susciter le changement qu’elles/ils souhaitent.

Agissez!

Faites parvenir cette carte postale numérique à des organismes féministes et de justice sociale qui ont besoin d’entendre ce message : « Les vrai-es féministes appuient le mouvement des travailleuse(-eur)s du sexe! ».

Posté sur 2021-11-03
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